Le Grand soir

Stéradian publié initialement le 24 novembre 2012

2011. Fr. Delépine – Kervern

Poelvoorde / Dupontel / Fontaine / Lanners / Moreau / Depardiew…

Puisque c'était un aprèm, on s'est maté Le Grand soir. Qu'est-ce qu'on a ri.

Depuis qu'ils se sont (un peu) émancipés de la chaîne commerciale, on ne compte plus les tentatives de nos collègues journalistes, grolandais de leur état, de nous sensibiliser à la Révolution. Louise-Michel annonçait, un peu par l'absurde, la couleur des titrailles sans ambages. Pour Mammuth, on verra ça.

Le Grand soir démarre donc un matin. Poelvoorde, en punk-à-chien-le-plus-vieux-d'Europe (m'étonnerait d'ailleurs... la 8°6, ça conserve plus que ça), fait sourire (il se réveille, bourré, dans une benne, dit à son chien : « Bon, un petit café », et joignant le geste à l'idée, dégoupille une cannette), mais semble mal à l'aise, dans cette compo d'Apache déchu, paresseux fier et fragile, punk farfelu, seul comme pas deux.

Ce qui fait un peu chier, pour ce nouveau brillant à accrocher au firmament d'un cinéma de la critique sociale (elle est comment la critique ? Gagné, Madame, elle est comme la lutte : elle est so-ci-ale. Putain d'épithètes de bouchés). D'un ciné critique et burlesque. Car c'est justement à l'inverse, hélas, de ses innombrables rôles de pitre flicard, et pour lesquels la complicité, pour toute révolution, doit se tapir, sans doute, sur un échelon de la courte échelle d'accès à l'ascenseur social d'un « collègue » comme... Danny Boon ? Qui, enfin parisien, qui, enfin flic, qui, enfin arriviste parvenu, n'a, à part sa Godrèche, Rien à déclarer ?(d'ailleurs, à voir ce film, si, au fait : la France est toujours moche de sa débilité, obsédée de ses frontières. Allez donc voir ça de Belgique si vous nous croyez pas). On n'ira donc pas s'étonner, ici, de l'absence, notable, de notre Armentiérois embourgeoisé national (pas vrai, « Danny » ? « pauv' mais... con »?). Ni le regretter.

Pas besoin, Poelvoorde va nous la faire sentir, cette France qui sort par les yeux de générations d'habitants de partout, de ses rocades marchandes, aussi infinies qu'interchangeables, dégueulasses de fascisme architectural et social, à l'image de ces encastrables caddies, vrais squelettes symboliques, de ces périphéries urbaines moches, et soi-disant « traversées de vie ». Quelle vie ? À part les deux frangins, justement, et justement parce qu'ils le pètent, ce plomb, loin des suicides solitaires et campagnards, la seule vie qui y paraît, c'est les sourires nazillons des étiquettes de packaging.

Une ZAC comme décor, pour ce tout nouveau western, traversée sur les chapeaux de roues par cet indien urbain et son urbain, trop urbain de frangin, Dupontel, brave cow-boy du capital, naturellement au bord de l'implosion, à vendre des matelas dans un univers en toc petit-bourgeois. D'ailleurs, autant recruter Poelvoorde pour lui faire jouer autre chose que son facho de perso fétiche relève de l'habileté, autant recruter l'ami Dupontel pour lui faire hurler ses douleurs commence à relever d'un cliché, tant même lui, des planches jusqu'à Bernie, n'a que peu joué autre chose (plus tard, le beau La Maladie de Sachs, de Winckler). Mais il n'a surtout pas eu besoin d'une clique comme ceux-ci pour se tailler une sacrée part de marché sur le segment psychopathe exorbité. Vous avez déjà vu Enfermés dehors ?

Puis, ce joli clin d'œil, en forme d'aînesse politique (un brin arrogante ?), mais qui force la curiosité : cette référence, à la bible, terrrrrroriste, du moment, déchargée ici de pas mal de sa poudre à canon (de perlimpinpin, oserait-on demander ?), L'Insurrection qui vient, et dont le vigile le transmet, comme on le fait d'un brûlot, d'une chose effectivement subversive, ayant pris le soin de l'emballer dans... La Vie devant soi ! Petite suggestion pour dire au Comité rédacteur, réputé « Invisible », qu'« au boulot, maintenant » ?

Réconfortant petit encart publicitaire, donc, en forme de nostalgie solidaire post-punk : « We're not dead ». Le slogan traditionnel, pour les plus jeunes d'entre nos lecteurs, étant « punk's not dead », et vu les gueules de ces cadavres, artistes de l'autodestruction et autres désenchantements (« No future ! »), on comprend qu'entre les hygiénismes conjoints, du skinheadisme au rap, ils en aient eu pour des décennies à devoir le rappeler. Un bouquet final en ressort vivant, ici, corrige le tir : « Nous sommes tous des punks à chien ».

On pourrait ajouter, conclusif, et chantonnant, « Les bour-geois sont tro-ublé-e-s, de voir pas-ser les schlagues ». Réconfortant, comme une bouillotte, comme un Ken Loach, mais, peut-être, pour tous ceux, pour qui traverser Carrefour sans en sortir en ayant abattu 125 personnes est un défi quotidien, à ne pas mater le soir, si on veut s'endormir, sur des lendemains qui chantent, des ça ira mieux demain, et autres saute-moutons…