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Comment les Gaulois, foutre merde, sont-ils devenus des ivrognes ?

Il y a quelques billets de cela, je vous parlais de la façon dont Vercingétorix s’était pris une grosse raclée par ce salopard de César. Eh bien il se trouve que je n’en ai fini ni avec ces sauvages d’un autre temps, ni avec vous, bienheureuses lectrices, bienheureux lecteurs. La question que je me pose aujourd’hui vous ennuiera certainement, j’en conviens. Mais à vrai dire là n’est pas l’essentiel. Car un jour vous aussi vous vous réveillerez l’esprit occupé par ce terrible questionnement : « Bordel de dieu, comment ces connards de Gaulois ont-ils bien pu devenir alcooliques ? » Et quand ce jour viendra, vous chérirez ce fichu billet.


 • « C’étaient des hommes grands et forts, aux yeux bleus, à la moustache tombante, aux cheveux blonds qu’ils relevaient en touffe sur la tête ou qu’ils laissaient flotter sur leurs épaules. […] Ils étaient gais, curieux, intelligents, mais turbulents et batailleurs. Ils aimaient les chants, les discours, les festins qui se terminaient souvent par des querelles. » Ces quelques lignes — concernant, vous l’avez compris, Nos-Ancêtres-Les-Gaulois —, sont tirées d’un manuel d’histoire de 1966, destiné aux cours moyens et rédigé par un Inspecteur Général de l’Instruction Publique ainsi que deux Inspecteurs de l’Enseignement Primaire de la Seine. Or, pour le dire sans détour, ce que vous venez de lire n’est qu’un immense ramassis de conneries.

Je m’explique…

… enfin presque.

Ces gens, Inspecteurs de l’Instruction, affirment donc que Nos-Ancêtres-Les-Gaulois, c’était ça :

- Les Gaulois étaient « des hommes grands et forts », donc pas des femmes, un peuple de couilles épaisses ;

- Les Gaulois étaient poilus et blonds aux yeux bleus, des bêtes venues du Grand Nord, un peu flamands sur les bords ?

- Les Gaulois étaient « gais, curieux, intelligents, mais turbulents et batailleurs », ce qui irait très bien pour décrire des écoliers rechignant précisément[1] à apprendre leur leçon sur Leurs-Ancêtres-Les-Gaulois ;

- Les Gaulois « aimaient les chants, les discours, les festins qui se terminaient souvent par des querelles », un peuple de couilles, donc, qui parlent fort, chantent, bouffent bien, se bourrent et se foutent sur la gueule — soir de foot ?

Vous ne voyez peut-être pas encore le rapport entre ce texte à visée pédagogique et mon questionnement de départ sur l’ivrognerie gauloise. Je vous rassure, cela viendra — ou pas, en fait. Si je tenais d’abord à vous faire lire cette description scabreuse, c’était pour vous montrer la paresse intellectuelle de ces Inspecteurs de Mon Cul — pour le fun. Car finalement leur propos n’est en rien différent de ce qu’écrivaient les Romains, il y a plus de 2000 ans, sur Nos-Ancêtres-Les-Gaulois. En somme de ce que des Conquérants disaient — avec tout le racisme que l’on connaît — sur des Conquis.

On peut remonter vers 50 avant notre ère — enfin celle de J.-C. TOUT PUISSANT, quoi — et comparer avec Diodore de Sicile qui a écrit une histoire du monde centrée sur Rome — la « Bibliothêkê historikê ». Tirant partiellement ses informations d’auteurs plus anciens, ce mec délivre en quelques mots l’image mentale que les Romains s’étaient forgée depuis leurs premiers contacts avec Nos-Ancêtres. Par exemple sur leur pilosité :

« Les Gaulois ont le corps grand, la peau humide et blanche, les cheveux blonds par nature : […] se lavant sans cesse les cheveux avec un lait de chaux, ils les relèvent des tempes vers le sommet de la tête et la nuque, […] leurs cheveux s’épaississent du fait de ce traitement, au point de ne différer en rien d’une crinière de cheval. […] Les nobles, eux, se rasent de près les joues, mais laissent pousser leurs moustaches, au point que leur bouche en est cachée : aussi lorsqu’ils mangent, leur moustache est embarrassée d’aliments, et, lorsqu’ils boivent, la boisson circule à travers elle comme à travers un filtre. » (Diodore, V, 28, traduction revue par C. Goudineau).

Pas très propres sur eux, c’est le moins que l’on puisse dire…

Mais bref ! Je m’égare. Vous avez ouvert ce billet, nom de dieu de merde, pour savoir comment Vos-Ancêtres aimés étaient devenus des poivrots, et je n’en ai toujours pas parlé. Putain de publicité mensongère ?! Ne nous emballons pas, je suis désolé — reviens à la réalité, Jack ! —, demandons plutôt à Diodore ce qu’il pense du prétendu penchant immodéré des Gaulois pour la boisson :

« Aimant jusqu'à l'excès le vin que les marchands leur apportent sans mélange, ils en boivent si avidement que, devenus ivres, ils tombent dans un profond sommeil ou dans des transports furieux. Aussi beaucoup de marchands italiens, poussés par leur cupidité habituelle, ne manquent-ils pas de tirer profit de l'amour des Gaulois pour le vin. » (Diodore de Sicile, V, 26)

Y’a comme un air de famille, pétés comme des coins et amoureux de vin : du moustachu Vercingétorix au très poilu Capitaine Cœur-de-Bœuf les choses n’ont donc pas beaucoup évolué…

… Restons sérieux — Diodore se fout complètement de notre gueule, salaud ![2]

Et faisons un peu d’histoire, les enfants — ça risque d’être chiant, mais c’est comme ça :

Jusqu’à 125 avant vous savez qui de TOUT PUISSANT, les Gaules étaient indépendantes[3]. Or cela n’empêchait pas le vin italien de s’y vendre. Les marchands — les negotiatores — le refourguaient aux Grecs de Marseille — une cité grecque, donc — qui le redistribuaient dans leur arrière-pays mais aussi vers le Nord, en Gaule chevelue. Le vin, pour les communautés celtiques, c’était surtout un objet de prestige détenu exclusivement par les nobles qui l’échangeaient contre des esclaves. Sans rapport avec La-Loi-du-Marché, ni contact avec les negotiatores. Les chefs, pour exposer leur domination, payaient leur tournée de temps en temps au reste de la communauté.

En fait, chers amis, si Nos-Ancêtres-Les-Gaulois se déchiraient la gueule à ce moment-là — et on peut quand même pas le nier —, cela restait une pratique sociale bien inscrite dans ce que le tonitruant Capitaine Cœur-de-Bœuf appellerait sans sourciller « un rapport de dominant à dominé » — « la sociologie c’est la source », dit-il aussi, selon son humeur.

Maintenant, après 125 avant L’AUTRE là-haut, suspense…

… TOUT change avec l’intervention des marchands italiens.

Je balance ça un peu brusquement, mais je n’en sais presque rien, au final — et je ne me fiche pas de votre gueule ! C’est juste ce que j’ai cru comprendre en lisant un certain Michel Bats[4] lors d’une intense insomnie — c’était le 22 avril dernier, je crois.

Et voici ce que j’ai cru comprendre.

À partir du deuxième quart du IIe siècle av. J.-C. — je sens que je vous perds, on se réveille ! —, les negotiatores s’emparent progressivement du marché gaulois. Puis, vers 125 avant le FILS DE DIEU, les légions déboulent en force. La Gaule transalpine devient une province romaine et une première colonie est créée à Narbonne : les Marseillais sont niqués.

Le reste de la Gaule est toujours indépendante — et le restera, vous le savez, jusqu’à la défaite d’Alésia en – 52. Ceci dit, les negotiatores précèdent les légions en investissant les réseaux commerciaux de la Gaule chevelue. De business en business, petit à petit, la monnaie est introduite. Le fric, sonnant et trébuchant, et « la progression d’une économie monétaire [qui] a amené à dépouiller cet objet précieux qu’était le vin de son caractère dominant de bien de prestige pour n’y plus voir qu’un objet de commerce : objet de commerce que l’on peut acquérir comme d’autres » — du lourd ! — (M. Bats).

Bien, finissons-en.

Chères lectrices, chers lecteurs, vous voyez où je veux en venir.

Certes Nos-Ancêtres-Les-Gaulois n’ont pas découvert les beuveries avec les Romains. Mais l’économie monétaire les a transformés en gros consommateurs de pinard. Pouvant se payer, sans passer par les chefs, leurs propres teilles-bous. À l’épicerie, ou pas loin. Je peux vous dire que ces cons d’Ancêtres étaient conquis. Seuls quelques peuples du Nord, en Gaule Belgique, rejetaient et condamnaient le vin italien. Mais là où le vin échouait, les légions finissaient le travail.

Bon.

On arrête, y’en a RAS-LE-BOL !

Une dernière chose, quand même :

Lorsque vous irez vous boire une binche dans un troquet lillois plein de débauchés, pensez à ce texte. Au regard de ces putains de moines trappistes belges, avec leurs putains de « tripels », ressemblant quelque peu aux negotiatores italiens, je finirai naturellement par lancer la polémique : à quand la conquête du Nord-Pas de Calais par nos voisins les Belges ? •

 Source

 


[1] « Proprio ! » s’exclame soudain le Capitaine Cœur-de-Bœuf à la lecture de ce mot.

[2] Il va même jusqu’à affirmer que les Gaulois échangent un esclave contre un tonneau de vin ! Rien que ça.

[3] Petit point technique : « Gaulois » signifie « Celtes » pour les Romains qui les distinguent des « Germains » vivant au-delà du Rhin ; la Gaule est donc le territoire celtique. Avant la conquête, les Romains divise ce territoire en quatre parties : la Gaule cisalpine au nord de la péninsule italienne, la Gaule transalpine — à peu près les régions actuelles Languedoc-Roussillon et PACA —, la Gaule chevelue — l’intérieur — et la Gaule Belgique — actuellement le Nord de la France et la Belgique.

[4] « Le vin italien en Gaule au IIe-Ier s. av. J.-C. : problèmes de chronologie et de distribution », Dialogues d’histoire ancienne, 1986.