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Comment j’ai vomi, violemment, lors du discours de Macron

Depuis 2012, j’ai l’habitude de passer les soirées électorales avec des proches, souvent les mêmes, devant la télé, pour descendre quelques binches, bouffer de la pizza et déblatérer nos commentaires acerbes sur le spectacle et ses acteurs. C’est donc de cette façon que je comptais occuper la soirée du dimanche 23 avril, pour le premier tour des présidentielles dont le scénario, cette année, était particulièrement chiadé. Seulement, cette fois-ci, mon corps m’a fait comprendre, dans la douleur, qu’il en avait assez.


• Le scénario était bon, l’intrigue sympa. Les personnages du spectacle étaient bien travaillés, tous autant dérangés et assoiffés de victoire, à l’américaine. En revanche, le dénouement m’a laissé sur ma faim – comme pas mal de gens, je pense. C’est pas que j’espérais éperdument la victoire d’un des neuf éliminés, mais je m’attendais à un final plus croustillant. Je sais pas, y’aurait pu avoir un truc de ouf. Genre un Pujadas qui pète un câble et se met à crier, en direct : « Oui, je suis une raclure ! Une raclure qui aime le fric ! Et alors ?! Niquez tous vos mères, bande de bâtards ! ». Ou encore une baston générale au QG d’Asselineau, un piratage du direct de BFM TV par un obscur groupuscule néo-indépendantiste corse, je sais pas, n’importe quoi aurait fait l’affaire. Mais non, au lieu de ça, on a eu une fin assez… prévisible. Les sondeurs avaient raison, ces salauds de spoilers s’étaient attachés à nous divulguer la fin depuis plusieurs mois. Si bien qu’on a failli, mes potes et moi, boire notre dernier verre et se dire bonne nuit.

J’aurais dû rentrer chez moi, mais on a évidemment commencé à discuter, à se rendre compte, et y’a eu comme un truc chelou dans mon bide. Le FN, bordel, ces fachos, bordel, la famille Le Pen, digne héritière de Vichy et du « temps béni des colonies », putain de merde ! Macron, oh putain, la petite peluche patronale, le chamallow qui veut être président, banquier et foutu fils de pub… Et Fillon… Oh ! Saloperie de merde, pays de merde, pays de tarés fanatiques ! Bref, j’aurais dû me casser, mais les discussions ont continué comme ça un moment, et nos verres ont été vidés, et vidés, et encore vidés. La télévision fonctionnait en même temps. Je voyais le score de Le Pen, ce truc chelou dans mon bide se compressait de plus en plus. J’en avais des sueurs froides, glaciales, comme si je m’étais retrouvé devant la Faucheuse en personne. Pujadas, lui, semblait content – se disant sans doute « c’est bon ça, on vous a bien niqués, on vous a bien niqués, hé, hé, hé » – et on parlait de plus en plus fort. Jusqu’au moment où, hélas, Macron est arrivé. En dernier, après les autres candidats, chaud comme la braise, terminant une traversée de Paris qui restera dans les annales de Gala, Paris Match et Automoto. Le gars a déboulé et, bordel de cul de vérole, a fait son discours devant une salle surchauffée. Tout le monde – de celles et ceux qui coucheraient bien avec lui à celles et ceux qui lui feraient volontiers vivre le supplice du radiateur – conviendra que ce discours n’en était pas un. C’était plutôt une logorrhée d’une quinzaine de minutes qui aurait fait fureur dans un concert psychédélique des années 70.

« Tiens, tiens, ai-je d’abord pensé, sa cocaïne doit être surpuissante… La vache ! » Loin de moi l’idée d’insinuer que le mec s’en fout plein le pif, ni que d’autres de son milieu s’en foutent plein le pif, hein, je dis juste quelle a été ma première réaction, quasi inconsciente, à son envolée complètement loufoque. Je l’imaginais en train de bander comme un taureau derrière son pupitre, de renifler frénétiquement, histoire de bien faire descendre les quelques milligrammes de blanche qui lui faisait ressentir la toute-puissance de s’appeler, à ce moment précis, Emmanuel Macron. Le mec disait n’importe quoi, et se faisait applaudir. « Vous avez donné vos jours et, quand ils ne suffisaient pas, vous avez donné vos nuits », le public : « Waaaawwww !!! ». « Ne renoncez jamais, n’oubliez jamais ces mois durant lesquels vous avez changé le cours de notre pays », le public : « Waaaawwww !!! ». « Je sais vos attentes. Je souhaite, dans quinze jours, devenir votre Président. », le public : « Macron président ! Macron président ! ». « Un président qui aide ceux qui ont moins, qui sont plus fragiles », le public : « On a gagné ! On a gagné ! ». Un président qui pense qu’« on ne fait rien de bien en oubliant qui l’on est et d’où l’on vient », mais qui ne demandera « pas à ceux qui [le] rejoignent d’où ils viennent ». Bref, un tissu de conneries sans fin.

Alors que le « discours » s’éternisait, un de mes potes a lancé, assez gravement : « Il est complètement con, ou quoi ? ». J’ai rigolé, nerveusement, sentant bien que ma tête était en train de surchauffer, comme si j’avais la fièvre. Soudain, voilà que Macron s’est emporté à propos de « Brigitte », sa femme. Façon Raymond Domenech avec Estelle Denis un soir d’élimination. Jamais les fachos n’ont été aussi proches du pouvoir depuis 70 piges dans le pays, et le gars nous fait part de son amour pour la future reine de France, acclamée par un public en liesse : « Brigitte ! Brigitte ! Brigitte ! ». Signe annonciateur, j’ai dû lâcher une petite caisse, puis le truc chelou dans mon bide s’est transformé en bulles dans mon intestin grêle et ainsi de suite jusqu’à l’œsophage. La quatre fromages et tout le reste refluaient de loin, et depuis plusieurs heures déjà. En quelques minutes, j’ai compris que je ne pourrai pas le soutenir bien longtemps. Le pire, c’est que le gars ne s’arrêtait pas, il continuait, comme un gros son hardcore sous micropoint. « Ét… éteins… éteins la tél… steup… » ai-je essayé de demander à l’ami qui nous accueillait. Trop tard, avant qu’il ait compris quoi que ce soit, l’explosion s’est produite. Brusquement, je me suis précipité vers les chiottes, et là, très honnêtement, j’ai dégobillé comme jamais auparavant. Un jet puissant, dense mais volumineux, presque mousseux, blanchâtre et puant. Je ne voyais plus ce que je faisais, où je vomissais, mais je sais que j’ai vomi tout le reste de la soirée. Plus aucune dignité, j’étais fait comme un rat.

Les jours suivants, la gueule de bois a été massive. Ok, vous allez me dire : « T’avais trop picolé, Jack, voilà tout », et je peux l’admettre. N’empêche qu’à ce sujet, j’en ai vu d’autres – ceux qui me connaissent ne diront pas le contraire –, que des pizzas quatre fromages pourries, j’en ai bouffées des tonnes, et que je vote depuis assez longtemps pour avoir vu triompher trois des plus grands menteurs de l’histoire de la Ve République, et progresser le fascisme façon Le Pen année après année. Aussi est-il clair que ma crise de foie a été, soit la conséquence d’une saturation, d’une overdose, soit une intoxication à un produit que mon corps n’avait pas encore rencontré, je ne saurais le dire. Quoi qu’il en soit, il est hors de question de lui refaire vivre un tel moment. Dimanche prochain, je ne vomirai pas. •