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Le capitalisme (dé)raisonnable de la communauté urbaine de Lille

Il y a un peu plus d’un an, Pierre de Saintignon – « L’Homme qui valait trois salaires » – dénonçait le « capitalisme financier scandaleux » et espérait de tout son être la venue du messie : le « capitalisme raisonnable ». C’était la « crise » et aujourd’hui c’est toujours la « crise ». Mais les élus de Lille Métropole Communauté Urbaine ne connaissent pas pour autant le mot « raisonnable ». En attestent dernièrement les 21 millions d’euros offerts gracieusement à Parkeon, une société spécialisée dans la « mobilité urbaine » et siphonnée à distance par quelques financiers peu scrupuleux.


• En 2008, Martine Aubry – maire de Lille, présidente de la communauté urbaine, présidente de l’Eurométropole, première secrétaire du Parti Socialiste – préconisait de « revenir aux sources du socialisme, celles du combat ouvrier contre les injustices, […] contre le libéralisme financier ». De son côté, son bras droitiste Pierre de Saintignon – adjoint municipal, vice-président du Conseil régional, conseiller à la communauté urbaine – s’enflammait en 2009 contre le « capitalisme financier scandaleux qui va faire place, on l'espère, à un capitalisme raisonnable ».

C’était, forcément, très drôle.

Drôle pour la simple et bonne raison que la communauté urbaine de Lille s’était « largement financée grâce à des emprunts à très haut risque. Des produits « toxiques » […] des placements indexés sur des devises exotiques, très rémunérateurs en période de croissance. Et très dangereux en période de crise. » (Rue89) Autrement dit, les élus de la métropole avaient dangereusement joué avec le feu du « capitalisme financier scandaleux » et se demandaient alors, comme de pauvres et innocentes victimes, s’il fallait porter plainte contre certaines – très – méchantes banques.

Puis, plus rien. Les belles déclarations se sont évanouies dans la nature, le business a repris son cours normal et aujourd’hui les anciennes victimes du « capitalisme financier » décident d’injecter non pas un, ni deux, ni même trois, mais 21 millions d’euros dans une société dont le financement dépend d’opérations boursières plus que douteuses.

La société s’appelle Parkeon. Le contrat passé avec la métropole lui donne pour mission d’instaurer un nouveau système de billettique dans les transports en commun de l’agglomération. Un système à base de puces qui permettra aux usagers d’acheter leurs titres de transport « sans contact ». Grosso modo, ils n’auront plus – s’ils le choisissent – à composter un ticket mais à scanner une carte, une clé USB ou un téléphone portable au passage de bornes, ce qui permettra, entre autres, d’adapter la tarification de leurs voyages à leurs déplacements effectifs. Ce système pourrait être étendu aux trains régionaux ou à d’autres services comme l’emprunt de livres à la bibliothèque.

Bref, si je vous dis « puces RFID » ou encore « nanotechnologies », vous comprendrez peut-être mieux. Aussi, pour cette raison, je ne vais pas relancer ici une discussion concernant l’invention d’un besoin – un de plus –  présenté comme une « avancée », alors que la façon dont il est imposé au public, malgré l’absence totale de « réel » débat démocratique sur les dangers liberticides qu’il comporte, force à penser qu’il ne s’agit que d’une fuite en avant répondant à des intérêts privés – très longue phrase, je vous le concède. D’autres s’y escriment bien mieux que mes capacités ne me permettraient de le faire. Signalons simplement que l’acronyme « RFID » est étrangement absent des articles de presse... Pourtant, sans cette technologie, on ne voit pas clairement comment un système de billettique « sans contact » peut fonctionner.

Mais passons. Car l’objet de ce billet porte plutôt sur le type de capitalisme que représente Parkeon.

Présente dans cinquante pays et trois mille villes, auxquelles elle propose des solutions pour le stationnement, les transports, les voieries, etc., cette société a généré un chiffre d’affaires de 176,3 millions d’euros en 2008 contre 90 millions en 2000. Avant 2003, Parkeon s’appelait « e-City » et appartenait au groupe franco-américain Schlumberger. Mais tout a changé cette année-là, lorsqu’elle a été acquise par Apax, un fonds d’investissement, moyennant alors un « rachat par endettement ». En termes techniques, un montage juridico-financier dénommé « Leverage buyout » ou LBO.

Je vais vous la faire simple, car la finance – probablement autant qu’à vous – me refile d’atroces pustules.

Le LBO, en quelques sortes, est la « Rolls-Royce » du « capitalisme financier scandaleux ». Pour mieux comprendre, je vous livre ici une des définitions les plus concises que j’ai trouvées sur le web – du Monde  :

« Ce mécanisme consiste, pour un fonds d'investissement, à racheter une entreprise avec un fort recours à l'endettement. La dette contractée au moment du rachat est remboursée par la trésorerie de l'entreprise ou, in fine, grâce à la plus-value réalisée par le fonds au moment de la revente de la société. Lorsque les taux d'intérêt sont faibles, l'opération permet de profiter d'un effet de levier qui dope les rendements du fonds. »

Et ce n’est pas fini – toujours selon Le Monde :

« Les LBO ne sont pas à l'origine des difficultés des entreprises, mais constituent un facteur aggravant. En particulier lorsque les opérations ont été montées en 2004. A cette époque d'argent facile, les banques ont octroyé des crédits très importants représentant parfois 70 %, voire 80 %, de la valeur de la société. Avec la technique du LBO, l'entreprise rachetée par le fonds est censée rembourser la dette grâce à la trésorerie qu'elle génère. Mais avec le ralentissement de l'économie, ses revenus diminuent et la dette devient insupportable. »

Le LBO vu d’en haut


Le LBO vu d’en bas

Le LBO est donc une belle saloperie particulièrement vicieuse en temps de « crise » – ma propre définition –, dénoncée, entre autres, par l’économiste Frédéric Lordon ou le Collectif LBO créé par des militants CGT. En fait, c’est une opération financière qui permet à un investisseur d’acquérir une société sans trop prendre de risques et de la revendre très rapidement en réalisant une savoureuse plus-value. Bien entendu, le facteur « salariés » n’entre pas en compte. Ou plutôt si, car une société passant sous LBO est contrainte d’augmenter sa rentabilité, donc de pressurer ses salariés qui, forcés de travailler plus pour travailler plus, se voient asphyxiés par la « dictature du cash » – i.e. du « cashflow », l’expression est de la CFDT Parkeon.

Ainsi – comme nous l’avons dit – les salariés de Parkeon ont vécu un premier LBO en 2003. Puis, en 2007, badaboum !, nouveau LBO : cette fois c’est Barclays Private Equity qui devient l’actionnaire principal, rejoint en 2009 par ICG lors d’un refinancement de la dette. Hormis ces fonds d’investissement, dont le seul et unique but est de maximiser leurs profits, Parkeon se fait aussi savamment pomper par la BNP, son créancier qui fixe des intérêts pour le moins… renversants.

Apax, Barclays, ICG, BNP… voici une sinistre bande de profiteurs qui se foutent magistralement du bien-être des salariés de la société « cible ». Des vampires de la finance, des bêtes assoiffées qui se jettent sur une boîte pour lui siphonner les richesses qu’elle engendre. En ne laissant que des gouttes à ceux-là mêmes sans qui, précisément, ces richesses ne pourraient être engendrées.

A mes yeux – et c’est vraiment difficile de comprendre le bazar vu le peu d’informations accessibles et transparentes dont nous disposons –, je ne vois qu’une conclusion :

La métropole emprunte de l’argent qui n’existe pas grâce au « capitalisme financier scandaleux ». Ensuite, elle reverse des millions d’euros, qui n’existent pas, dans une société qui se finance grâce au « capitalisme financier scandaleux » et qui, pour ce faire, contracte des dettes sur de l’argent qui n’existe pas. A la fin, un petit nombre de profiteurs parviennent à dégager un maximum de profit, qui existe vraiment cette fois, destiné directement à l’augmentation de leurs fortunes personnelles.

Lors de la présentation de ses vœux pour l’année 2010, la présidente de la communauté urbaine déclarait : « Nous voulons être une machine à préparer l’avenir de nos habitants ». Pour l’instant, la machine, s’il en faut, me fait davantage penser à une machine à sous s’inscrivant pleinement dans un « capitalisme financier scandaleux ».

Mais n’allez surtout pas dire ça – promis ? – à Monsieur Pierre de Saintignon : lui qui espère un « capitalisme raisonnable » en perdrait la raison ! •