De L’Error/De-Bœuf : La rencontre

• Veuillez prendre connaissance du communiqué du Directeur publié ci-dessous, relatant les récents évènements dans l’affaire De-Bœuf.

Il n’y avait qu’un seul endroit au monde où De-Bœuf pouvait se terrer : dans sa Campanie natale. Il devait se planquer quelque part dans les bas-fonds de Naples, tout le monde sait que le pleutre y compte quelques complices assez bien placés. Les experts que j’avais mis sur sa piste n’arrivant pas à réfléchir au-delà du Louvre-Lens – comme si leurs cerveaux crétins étaient retenus par une sorte de triangle du Nord-Pas de Calais (Boulogne – Dunkerque – Lens) inintelligible –, je me suis décidé à régler cette affaire seul. On n’est jamais mieux servi que par soi-même, disent les patrons, et ces salauds n’ont pas tout à fait tort.

J’ai pris le premier avion. Sur place, activé mon réseau. Un vendeur de roses, d’abord, qui avait remarqué depuis quelques jours « un drôle d’individu » venant tous les soirs à la même heure déverser le contenu de sa vessie sur les portes de Santa Chiara. Puis un moine, qui a confirmé ces dires. Enfin un vendeur de souvenirs qui m’a raconté qu’un « type bizarre » passait tous les soirs, et à la même heure, pour s’essuyer les mains sur les maillots de Maradona exposés devant sa boutique. « Ne vous inquiétez pas, je vais vous en débarrasser », ai-je dit à ce dernier, convaincu que c’était l’œuvre du Capitaine. Seulement ce n’était pas judicieux de l’intercepter devant Santa Chiara. Beaucoup trop de flics, pas discret. Je lui ai donc laissé un message, gravé sur la porte qui empestait son odeur : « JE T’AI TROUVÉ, LA PARTIE EST FINIE. RDV PIAZZA BELLINI, 23H. FAIS PAS LE CON, TU SAIS QUE T’ES FOUTU. JACK DE L’E. »

J’étais sûr qu’il viendrait, et je ne me suis pas trompé. Une foule énorme de jeunes occupait la place, juste pour boire des verres et fumer de l’herbe. Ceci dit nous n’avons pas mis longtemps à nous trouver :

« De-Bœuf !

– Jack.

– T’es niqué, De-Bœuf. T’as plus qu’une seule chose à faire, et tu le sais. Rends-moi Robert Wyatt, rends-moi le papier de ta vie, le papier qui déterminera tout le reste de ta carrière, rends-moi Wyatt et on oublie tout. On oublie les tentatives d’homicide, on oublie les insultes et les humiliations… les vieilles rancœurs, tout disparait ! Tu reviens à l’école, avec les honneurs, et je te nomme à un poste. De-Bœuf…

– Jack, après tout ce temps, tu me déçois. Tu sais très bien que je vais te le rendre ce papier, bordel ! Mais pas là, pas maintenant…

– Trois ans, ça fait trois putains d’années !

– C’est le papier de ma vie, tu l’as dit. Maintenant, pense à ça, Jack : je te rendrai jamais ce papier si tu continues à me calomnier. Je n’ai jamais essayé de te buter

– Espèce de salopard ! »

Je me suis lancé sur lui et l’ai attrapé par le poignet. Me voyant esquiver avec brio la droite qu’il essayait lâchement de me coller, il s’est mis à crier : « Fascista ! Fascista ! » Surpris par cette insulte on ne peut plus extrême et injuste proférée à mon encontre, j’ai relâché ma prise et lui m’a échappé. Une dizaine de jeunes qui avaient vaguement des gueules d’antifascistes m’ont encerclé. Ils devaient croire les viles calomnies du Capitaine et voulaient en découdre. Hélas ! Le temps d’éclaircir toute cette histoire et, dans un italien impeccable certes mais trop exhaustif, de les convaincre que moi, De L’Error Jack, je ne pouvais être que fondamentalement antifasciste et surtout pas fasciste, De-Bœuf était déjà loin. Mais une chose est sûre et maintenant même lui est au courant : je ne le laisserai pas finir son été tranquille, je le traquerai jusque-dans-les-chiottes s’il le faut. •

J. de L’E.

Directeur de l’ENL