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C’est décidé : je vais devenir keuf (sauf si je dois sucer pour obtenir un poste)

« Alexandre Dumas écrivait dans les années 1850 qu’un pays sans police est un grand navire sans boussole. Par votre action, vous êtes la boussole de la nation française, celle qui rappelle l’ordre républicain [NDLR : à coups de matraques], sans lequel il n’y a pas de liberté, celle qui permet l’égalité des chances [NDLR : mais pas pour trouver un logement] et qui permet surtout d’aller au restaurant avec ses amis [NDLR : ou aux Restos du Cœur], d’aller au cinéma avec sa famille, d’aller au travail pour gagner le pain à la sueur de son front [NDLR : sans avoir à sucer], de vivre, d’aimer [NDLR : de se faire sucer contre un logement], de chanter [NDLR : du Sardou], d’être mécontent, de manifester [NDLR : et de se faire gazer ou exploser un œil], de voter, de partir de notre pays ou d’y revenir [NDLR : en jet privé], de tout simplement être français. Voilà ce qu’est être policier national en 2021, permettre aux autres [NDLR : surtout les blancs] d’être français. Vive la République ! Vive la police nationale ! Vive la France ! »

Gérald Darmanin, Vélizy-Villacoublay, 9 juillet 2021

 

Alors OK, on a pas mal raillé ce discours du premier flic de France au motif qu’il cite Dumas de façon très inappropriée, mais, bordel, c’est quand même vachement beau, on dirait du Lamartine et moi, Lamartine, ça me fait chialer TOUTES les larmes de mon corps !

Si je commence donc par ces paroles ô combien émouvantes, c’est en raison de la gravité du moment et que j’affectionne le sens de la formule. Oui, mes amis, le moment est grave, j’ai choisi aujourd’hui de vous annoncer ma grande résolution pour l’année 2023 : rentrer dans la police.

Vous avez bien lu : Jack de L’Error policier, flic, keuf, cogne, condé, poulet, vache, ripou, porc, violeur, assassin, mais avant tout : gardien de la paix.

J’ai parfaitement conscience que mes idoles ‒ innombrables, soit dit en passant ‒ auront du mal à s’en remettre, et je tiens à m’en excuser. Mais ma décision est prise, je ne peux aller contre ce que me dicte ma conscience. Aussi ne pourrais-je que vous conseiller, chers admirateurs et admiratrices, de vous calmer parce que ça va bien se passer, hein.

J’avoue avoir longtemps hésité. Vous n’êtes pas sans savoir que ma carrière de journaliste, bien qu’elle n’ait jamais vraiment décollé, est éclatante et que, selon certains observateurs avisés, j’eus largement été en capacité de ravir la mairie aux socialistes. En somme et toute modestie, si je le voulais, je pourrais faire ce que je veux… à peu de chose près. Des semaines durant, donc, l’embarras du choix que m’imposent mes incroyables aptitudes, n’a eu de cesse de faire vaciller mes certitudes, jusqu’au jour où, glanant ici ou là des articles sur la réforme des retraites, et me désolant de devoir continuer à gratter des papiers de merde que personne ne lit jusqu’à la mort, j’ai reçu cette information comme une révélation mystique : pour les policiers, le labeur se terminera à 54 ans.

Si mes calculs sont bons, ça fait dix ans de moins. Certes ils se prennent deux ans de plus à tirer, mais bon sang, dix berges, c’est pas rien. À ce propos, quand Mme Borne ‒ dont la vie à elle pèse 1,67 million d’euros au bas mot et qui ne sera pas affectée par sa propre réforme ‒ explique que « notre projet bénéficie davantage aux femmes », son mensonge serait un chouia plus honnête si elle précisait « aux femmes flics ». Et à défaut de devenir femme, je deviendrai au moins flic.

Je ne vous cache pas que ma décision a soulevé des réactions contrastées parmi mon entourage. Bruegel, par exemple, m’a conseillé d’opter plutôt pour le métier de danseur à l’opéra de Paris ‒ « C’est 42 ans, Jack, presque 43, c’est un signe que tu ne devrais pas négliger. En plus t’as déjà 40 ans, donc tu prends un an pour passer le concours, et un an plus tard tu touches la retraite. Jackpot ! » ‒ mais chacun sait que mon corps ressemble à une immense Tour de Pise, raide comme un tonfa républicain, et que je suis sans conteste l’un des pires danseurs que compte la ville de Lille. Quant au Docteur Kasoif, le virage que je compte opérer ne l’étonne guère puisque, je me permets de le citer : « Bah, journaliste dont personne n’a jamais entendu parler et dont on n’a jamais vu la carte de presse permettant d’attester la réalité du poste : je pensais que c’était une couverture pour masquer le fait que tu étais keuf depuis longtemps… » ‒ quelle accusation infâme.

Fort heureusement, la Police nationale a tout prévu pour les paumés comme moi et, n’y ayant pas encore mis un pied ‒ à part lors des trois ou quatre gardes à vue que j’ai vécues par le passé bien sûr ‒, je m’y sens pourtant déjà bien accueilli. En grande partie grâce au site Devenirpolicier.fr, sorte d’AirBnB de l’aspirant flic. En page d’accueil, on vous demande ce que vous voulez faire ‒ enquêter, intervenir, protéger, etc. ‒, votre âge et votre niveau, afin de vous proposer les options les plus idoines. Questionnaire très simple, adapté au public cible, et qui, clairement, ne se trompe pas. Pour preuve, mon profil correspond à ingénieur en toxicologie médico-légal. Au poil ‒ inutile de vous rappeler que c’est votre serviteur qui a sorti l’affaire de la cyborgaïne ‒, la toxicologie, ça me connaît.

Allez, ne faites pas cette tête. C’est un choix judicieux, éminemment stratégique, et je ne peux que vous recommander d’y réfléchir. Pour les quelques raisons que je vais énumérer en guise de chute :

1) Si on devient tous keufs, l’âge légal de départ à la retraite descendra mécaniquement à 54 ans ‒ c’est mathématique ‒ et la bataille sera gagnée ;

2) Si on devient tous keufs, il n’y aura de facto plus aucun manifestant à nasser, gazer, tabasser et mutiler. Nous n’aurons plus besoin d’armes et l’industrie sécuritaire s’écroulera d’elle-même, emportant dans son sillon des dizaines de banques, ce qui provoquera inévitablement ‒ c’est économique ‒ la destruction du capitalisme ;

3) Si on devient tous keufs, nous n’aurons plus aucun travail à faire ‒ on sera pas assez cons pour se taper entre collègues ‒, on pourra se la couler douce et pourquoi pas passer nos journées à consommer toutes les drogues placées sous scellés dans les commissariats en écoutant Bob Marley. Alors nous créerons cette France si chère aux yeux de Gérald Darmanin, je veux parler de la France « gauchiste paresse et bobo, celle d’une société sans travail, sans effort », la France « du profond mépris de la valeur travail ». Et ça, c’est vraiment le pied ‒ c’est philosophique.

Vive la bordélisation du pays ‒ même si Macron le veut pas ! •